par Anne-Christine Tinel
Dans ma vie, les Cévennes sont présentes entre les lignes. Si je ne m’y suis pas établie, plusieurs fois j’y ai séjourné. L’éblouissement de mes 13 ans lors d’une baignade dans une rivière pas très loin d’Alès, sans doute le Gardon.
Vers 25 ans, j’ai découvert la Lozère, l’austérité sublime des pentes et des plateaux, les brebis, Le Mont Lozère, les gorges du Chassezac… Durant mes années tunisiennes, la maison abritant mes séjours français se trouvait non loin de Bessèges : j’ai pataugé dans le Luech, nagé dans la Cèze, marché sous les châtaigniers qui se plaisent dans ce pays à la croisée entre monde méditerranéen et montagnes, dont la mixité me touche et qu’au détour des chemins de Bretagne où je vis aujourd’hui je retrouve fugitivement, granite, genêt, bruyère…
Quand La mangue et le papillon a germé dans mon esprit, c’est dans un paysage lozérien que s’est incarné pour moi l’épisode connu sous l’expression “Enfants de la Creuse”. Une vingtaine d’années durant, s’est déroulée une politique initiée par Michel Debré, solution technique à un double “problème” français : celui de La Réunion, avec sa démographie jugée trop dynamique, et celui des campagnes de l’hexagone, vidées de leur jeunesse par l’exode rural. L’historien Yvan Jablonka nomme « transfert » ces déplacements d’enfants arrachés à leur île natale puis envoyés par voie des airs à 9 000 km de là. 83 départements concernés.
Les paysages cévenols ont été le terreau, ce nid mental où j’ai trouvé l’intimité nécessaire pour me mettre dans la peau d’une enfant métropolitaine, dont la famille aurait accueilli un enfant réunionnais placé chez elle par la DDASS. Expérience qui aurait pu être la mienne si j’avais vécu dans une ferme en Lozère. Ces paysages où s’hybride la garrigue méditerranéenne à la fraîcheur montagnarde, de par leur diversité géologique, leur végétation très variée, pouvaient recevoir une histoire d’amitié entre deux êtres venus d’horizons très différents.
Il m’a fallu enfin me sentir un peu chez moi, pour de faux et pour de vrai – tour de passe-passe permis par la fiction – pour tenter de comprendre la violence de l’État français à l’encontre de ces enfants, peu critiquée durant 20 ans. Si j’avais été cette petite Lozérienne, quels auraient été les chemins par lesquels j’aurais peu à peu pris conscience de ce que ma famille et la République avaient infligé comme exil à des enfants ?
Les Cévennes ont été ce paysage où s’est incarnée la conviction que nous sommes des morceaux d’histoire, à la croisée entre un petit et un grand H. Il revient à chacun, et pas seulement aux historiens, de faire retour, pour comprendre ce dont nous avons été complices, ne serait-ce que par notre inconscience.
À la manière d’un plateau cévenol au bord duquel s’ouvre la vue sur le lointain, l’écriture s’est présentée à moi comme une occasion de prendre de la hauteur, pour reconsidérer une époque dans laquelle j’ai été immergée et j’ai fait corps, avec la cohorte de mes contemporains.
Anne-Christine Tinel rencontre ses lecteurs au forum de la médiathèque Daudet d’Alès, vendredi 5 décembre à 18h.
Une séance de dédicaces de La mangue et le papillon (éditions Elyzad) suivra les échanges avec le public.
La rencontre se terminera autour d’un verre de l’amitié.
Une soirée organisée par l’Académie Cévenole, la Ville d’Alès et Alès Agglomération, en partenariat avec la librairie Sauramps en Cévennes et le Pôle culturel et scientifique de Rochebelle.
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